7. Un Vieil Ami
liste des chapitresLe vieil homme était encore plongé dans ses recherches tard dans la nuit. La lumière de la bougie était presque entièrement consommée lorsqu’une poudre lumineuse traversa la fenêtre de sa modeste chaumière et vint danser devant ses yeux gris. Il tendit alors une main à la peau noire, paume en l’air, dans laquelle la poussière dorée se déposa doucement. Il referma sa main ridée et l’ouvrit de nouveau pour y trouver un pli aux initiales familières. Ses sourcils blanchis par le temps qui passe se froncèrent en formant d’autres rides sur son front, et son regard se durcit. Il n’avait pas vu ces lettres depuis plusieurs années, et le fait de les revoir aujourd’hui ne le rassurait pas pour autant, même après tant de saisons passées sans nouvelles de son grand ami. Le savoir encore en vie aurait dû normalement le réjouir, mais il ne savait que trop bien pour quelle raison Dryl séjournait depuis si longtemps en exil près des Plaines d’Yf, là où tout est rude.
Il passa une main sur ses cheveux courts presque tous blancs eux aussi, puis il défit le sceau de la feuille de papier blanche et déplia la lettre pour en lire son contenu. Il reconnut aussitôt l’écriture si particulière de son ami, avec ses lettres soigneusement calligraphiées. L’encre avait seulement bavé par endroits. Un sourire naquit sur ses lèvres traçant les sillons de l’âge sur ses joues marquées de tâches brunes.
Son sérieux refit progressivement surface comme il promenait ses yeux sur le papier mot après mot. Il rapprocha la bougie comme pour être sûr de bien voir ce qui était écrit.
— Quelque chose ne va pas Shenann ?
Une voix jeune et claire l’avait fait sursauter, et il se retourna sur sa chaise grinçante et usée par de nombreuses nuits passées à chercher des remèdes et des solutions aux problèmes qui l’empêchaient de trouver le sommeil.
Un jeune homme se trouvait sur le pas de la porte du bureau, l’esprit encore embrumé, ses cheveux bruns en bataille.
—Je ne sais pas encore mon cher Hayden, mais je pense qu’un long voyage nous attend dans les Plaines. Prépare nos affaires. Nous partons.
La voix enrouée de Shenann trahissait son inquiétude et ses yeux gris brillaient de hâte, mais il faisait de son mieux pour ne pas effrayer son apprenti plus que de raison.
Hayden était grand et sa belle carrure faisait de lui un bon guerrier, mais il n’en restait pas moins un jeune homme qui ne possédait pas encore l’ampleur des talents de son mentor, même s’il demeurait très doué pour l’apprentissage de la magie. Brun, ténébreux, aux yeux couleur émeraude et au sourire charmeur, il n’aurait eu aucun mal à séduire de ravissantes conquêtes s’il n’était pas aussi concentré sur l’étude de la magie. Shenann l’avait pris sous son aile deux ans auparavant lorsque le jeune homme, jusqu’alors enrôlé dans la Garde Royale, s’était montré bien plus réceptif aux arts mystiques qu’à celui de la guerre. Le mage avait vu en ce garçon un don et lui avait proposé de le suivre moyennant un foyer ainsi qu’une éducation. Hayden constituait un atout majeur, car maîtriser les armes et la magie était une chose rare qui pouvait se révéler bien utile par les temps qui courraient.
L’apprenti encore en vêtements de nuit ne posa aucune question et partit s’affairer, mais il connaissait bien cette expression sur le visage de son Maître. Il savait qu’il devrait se préparer à quelque chose de bien plus important qu’une simple visite de courtoisie dans les Plaines.
Il referma la porte derrière lui dans son grincement habituel, laissant Shenann seul avec ses pensées. Si Dryl disait vrai, tout serait différent, mais ça, il ne le saurait que lorsqu’il les rencontrerait.
***
— C’est pas vrai…
Dryl poussa un profond soupir de soulagement. Il ne pouvait pas blâmer son fils, car dans le fond, il avait appris de ses erreurs. Ne pas se fier aux apparences.
Caleib déposa son arc sur la table derrière lui, puis, au moment où il se retourna vers eux, un éclair vif et douloureux traversa son visage instantanément, accompagné d’un claquement sec. Matheyna venait de lui donner la gifle la plus mémorable de sa vie. À tel point qu’une marque rouge-écarlate de la forme de ses doigts se formait à présent la joue du jeune homme. La violence de son geste reflétait la profonde animosité qu’elle éprouvait à son égard. Elle respirait fort, tant la haine s’était emparée d’elle. Il soutint son regard noir pendant quelques secondes, presque incrédule.
Deana avait sursauté en même temps que la gifle était partie. Elle n’aurait jamais imaginé être confrontée à une telle situation, mais elle ne put ressentir de rancœur envers la jeune femme.
Matheyna regretta immédiatement son geste ; elle n’avait pas été aussi violente depuis des lustres, mais elle ne laissa rien paraître.
Il demeura immobile un bref instant, bouche bée. Il n’avait pas pu lui répondre, et elle ne lui en avait d’ailleurs pas laissé le temps. Il se demandait encore comment, avec un tel caractère, elle était parvenue à vivre aussi longtemps sans qu’on ait jamais voulu l’étriper. Mais il savait aussi que ce genre de personnes possédait la force nécessaire pour surmonter beaucoup d’épreuves. Il ne savait pas qu’elles avaient été les siennes, mais peut-être un jour aurait-il la réponse.
Et puis, il l’avait quand même bien méritée celle-là !