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8. Triste départ

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      Après les échanges houleux et surprenants de la veille, Dryl et Shenann avaient décidé de partir dès le lendemain, une fois que tout serait planifié. Tout devait donc être prêt le soir même. À plusieurs mètres de la maison, Hayden donna une douce caresse le long de l’encolure musclée du premier des deux chevaux qui, dociles, tireraient la charrette contenant toutes leurs affaires. Cette magnifique bête à la robe brune dégageait une aura mystérieuse. De la chaleur s’échappait de ses naseaux, contrastant avec le froid intense de la soirée. Un hennissement sourd se fit entendre, comme pour soulever le contentement de l’animal. L’autre cheval, d’une teinte beaucoup plus claire, se démarquait par sa robe crème avec des crins blancs, ce qui ne faisait qu’accentuer le paradoxe entre les deux compères.

      Hayden continua de faire courir sa main sur le pelage de son compagnon de route. Il sentait sa respiration lente et profonde, le pelage qui pliait sous sa peau, et les renâclements de l’animal qui appréciait le geste. Il considérait ce moment d’intimité comme un moment de répit, un instant de calme avant la tempête. D’après ce qu’il avait entendu ici et là, le voyage s’annonçait mémorable, à la hauteur des aventures qu’il attendait depuis si longtemps. L’enfant intrépide qui sommeillait en lui rêvait encore d’aventures. Il allait être servi ! Il commença à rattacher l’équipement des montures à la modeste charrette en bois. Le véhicule, un chariot bâché d’une épaisse toile servant à protéger la cargaison, possédait des roues immenses spécialement conçues pour les longs trajets sur les routes irrégulières. Le chariot avait été dépourvu de tout ornement ou dorure, car il était inutile de se faire remarquer par quelques frivolités. Passer inaperçu était presque devenu un art pour Hayden. Il fallait absolument éviter d’attirer l’attention, d’autant que le voyage s’annonçait long et périlleux. Il leva les yeux vers le ciel où le soleil commençait déjà à décliner, ressentant le froid qui gagnait progressivement tout son corps imposant.

Une voix claire interrompit soudainement ses pensées.

— Ce sont les dernières couvertures que j’ai trouvées, Dryl pense que trop vaut mieux que pas assez, surtout dans cette partie des terres.

     Le jeune homme marqua un temps d’arrêt. La main rougie par le froid encore posée sur l’une des brides qu’il venait de resserrer, il se tourna pour faire face à qui lui adressait la parole. Ses yeux verts scintillants se trouvèrent nez à nez avec la plus jeune des sœurs. Elle se tenait droite en face de lui, les couvertures fermement serrées contre elle. Bien que beaucoup plus petite que lui, elle semblait fière et tout dans sa posture lui inspirait confiance. Il avait déjà remarqué qu’elle était jolie, mais ce soir-là plus encore, avec ses longs cheveux détachés. Elle n’était pas parfaite, sans aucun doute, mais elle n’avait rien de la beauté superficielle qu’il avait souvent rencontrée chez la plupart des jeunes filles des villes dans lesquelles il avait séjourné. Elle était restée plantée là, dans la pénombre naissante, avec la capuche de sa longue et épaisse cape noire sur la tête, attendant certainement une aide de sa part qui, à l’évidence, ne viendrait pas. Hayden était devenu le genre de garçon qui, années passées seul avec un vieux sorcier obligent, avait tout occulté de la bienséance et de la galanterie. Comme s’il avait oublié de sortir quelques mots de sa bouche, elle le devança :

— Hayden tu comptes m’aider un jour où comment ça se passe ?!

   Elle avait dit cela avec bienveillance, tandis qu’un sourire moqueur se formait déjà sur son visage, légèrement amusé par la situation.

Elle se plaisait à mettre ce guerrier sûr de lui dans l’embarras et ne manquerait pas un instant de tout relater à sa sœur qui s’en moquerait gentiment à son tour. Elle tenait toujours les plaids dans ses bras et attendait visiblement une réponse de pied ferme.

— Excuse ma maladresse, laisse-moi prendre tes affaires, réalisa-t-il enfin en sortant de sa torpeur.

      Il esquissa un sourire charmeur qui lui creusa une petite fossette sur chacune de ses joues. C’était la première fois depuis leur arrivée qu’il se retrouvait seul avec l’une des deux.

Il s’approcha si près que leurs mains se touchèrent et Lucyana sentit ses joues s’empourprer, chose à laquelle elle ne s’était, pas le moins du monde, attendue. En effet, la jeune fille n’était pas très à l’aise lorsqu’elle se trouvait en contact direct avec le genre opposé. Il la déchargea maladroitement de son fardeau qui commençait à devenir lourd. Il plongea son regard dans ses grands yeux noisette et sentit un brin d’électricité. Elle fit un petit pas en retrait pour écourter ce moment trop gênant à son goût que seul le silence comblait.

— Merci. Souffla-t-elle en ramenant en arrière une mèche de cheveux rebelle.

   Elle se sentit soudainement quelque peu dans l’inconfort devant ce grand gaillard imposant. Il portait avec aisance une chemise verte, presque assortie à la couleur de ses yeux, un long manteau noir, des bottes du même ton et un pantalon d’un marron profond. En l’observant ainsi, la jeune femme se serait crue dans un des films qu’elle se plaisait à regarder avec sa sœur sur le divan du salon.

      Le jeune homme déposa les étoffes dans la charrette derrière lui, puis il se figea une fraction de seconde. Quelque chose qui avait retenu son attention mit ses sens en alerte. Il se retourna aussitôt vers Lucyana, plaqua brusquement une main sur la bouche de la jeune femme et pressa un doigt sur ses propres lèvres pour lui intimer le silence. Elle fronça les sourcils, surprise, mais elle comprit rapidement qu’il y avait un problème.

Ils se tenaient tout près l’un de l’autre et Lucyana percevait toute la concentration du jeune homme qui essayait de distinguer ce qui le perturbait. Ses yeux verts perdus dans le vague, il semblait maintenant être passé dans une autre dimension, comme si rien d’autre n’existait.

     Un sifflement parvint alors jusqu’à leurs oreilles et une flèche fendit l’air à toute allure, effleurant au passage le bras de la jeune femme qui étouffa un petit cri de douleur ainsi qu’une grimace. Elle perdit à peine son équilibre et fit un pas en arrière avant de se rétablir sur ses deux pieds. Elle posa machinalement sa main sur la blessure, où coulait déjà un filet de sang. Lorsque Lucyana baissa les yeux sur la plaie, ses doigts étaient recouverts du chaud liquide rouge.

La flèche termina sa course quelques mètres plus loin, plantée sur le sol recouvert de neige.

Hayden regarda le bras blessé de la jeune fille, puis il tourna son regard vers la forêt. Elle était beaucoup trop loin pour qu’ils puissent les atteindre de cette distance. Ils étaient donc déjà dans la Plaine, mais où ? Il se tournera de nouveau vers Lucyana.

— Nous sommes attaqués ! chuchota-t-il. Va prévenir les autres, nos ennemis sont tout près…

     Les étincelles dans ses yeux indiquaient qu’il était prêt à se battre sans l’intention de céder. Son visage à seulement quelques centimètres de celui de Lucyana, elle pouvait presque lire ses pensées.