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– Ah, fils te voilà enfin ! S'exclama le père avec une joie à peine contenue. As-tu réussi à retrouver les derniers moutons ? Continua-t-il, en tapant la table de son poing rugueux.

     L'intéressé acquiesça d'un signe de tête, puis il retira ses vêtements de la quasi même manière que son père. À croire que cela était véritablement un rituel d'entrée dans l'habitation.

Il posa tout d'abord sa lance, puis retira ses bottes sombres une à une et fit de même avec ses gants. Il jeta sa grande capuche en arrière, puis il ébouriffa délicatement ses cheveux pour en chasser le restant de neige persistante. Ils étaient bien plus foncés que ceux de son père, bruns, mais la lumière tamisée de la pièce laissait apparaître quelques reflets roux très foncé. Il retira ensuite sa lourde cape en fourrure, ainsi que son cache-nez, enleva un par-dessus en cuir et il ne lui resta que ses simples habits ; un pantalon noir ainsi qu’une sorte de surchemise épaisse de la même couleur. Lorsqu'il eut terminé d'ôter les derniers vêtements chauds, il balaya les lieux du regard. Il était jeune, peut être à peu près du même âge que Matheyna. Ses yeux terriblement sombres contrastaient de loin avec ceux de ses parents qui avaient tous deux des yeux clairs. Son visage était légèrement anguleux, comme ciselé avec une précision accablante. Il dépassait son père de presque une tête, mais il était moins corpulent et beaucoup plus élancé que ce dernier. Cependant on devinait tout de même une masse musculaire importante sous les vêtements. Il était indéniablement beau.

S'il fut surpris de voir de nouvelles têtes à la table, cela ne se remarqua pas le moins du monde. Il arrêta néanmoins son regard sur Matheyna qui ne sourcilla pas d'un cheveu lors de cette confrontation, puis il passa son regard sur l'autre jeune femme, à peine perturbée par cette entrée fracassante, car bien trop occupée par la nourriture encore chaude qui se trouvait dans son assiette.

– Qui est-ce ? Demanda-t-il d'une voix grave mais sèche à l'attention de sa mère.

– Je te présente Lucyana et Matheyna, et voici Caleib, notre fils, précisa-t-elle à leur attention. Elles resteront avec nous un moment, lui répondit-elle sans prêter attention à l’intonation qu’il avait prise.

     Il reposa les yeux sur les deux jeunes femmes et les toisa une à une. Cette fois, Mathyena se sentit transpercée par ce regard de méfiance mais n'en montra rien ; son visage resta fermé et aucune once de sympathie n’émanait d'elle en cet instant. Il remarqua son œil légèrement tuméfié, l’entaille sur sa joue, son teint pâle marqué par une fatigue récente, et son visage aux traits fins mais durcis par une expression affable. Elle le foudroyait du regard et regretta de ne pouvoir s'en servir de lance-flamme. Il restait implacablement figé et dénué de la moindre émotion ; profondément abyssal. Elle n'aimait pas les gens trop suffisants pour s'adresser directement à elle et elle savait que presque chacune de ses pensées pouvait se lire sur son visage.

     Dryl trouva bon d'interrompre ce silence pesant et ajouta :

– Pachoù les a trouvées en lisière de la forêt, elles étaient chassées par un ours des plaines. Elles étaient dans un sale état, alors je les ai ramenées pour qu'elles aient un endroit où dormir cette nuit.

– La forêt ! S'exclama le garçon incrédule. Il faut être fou ou complètement inconscient pour s'y aventurer seul ! S'entêta-t-il en donnant l'impression de fulminer en prononçant ces mots.

     C'en fut trop pour Matheyna, dont le sang qui ne fit qu'un tour empourpra ses joues. De quel droit se permettait-il de telles paroles sans même connaître le contexte ?!

– Nous sommes loin d'être folles, et nous n'avons pas choisi d'atterrir dans cette forêt ou de nous faire dévorer vivantes par un ours géant ! Cracha-t-elle le plus calmement qu'elle put.

      Du moins ce qu'elle crut, car elle s’était levée sans même s’en rendre compte.

Tout le monde fut surpris de cette intervention et se tourna vers elle, excepté Lucyana, qui avait l'habitude de ce genre de remarque de la part de sa sœur. Cette fois-ci, elle avait tout de même ouvert des yeux ronds comme des billes et arrêté sa fourchette en pleine course, laissant un morceau de viande suspendu à mi-chemin entre son assiette et sa bouche. Elle incita vivement sa sœur à reprendre son calme. Elle savait que celle-ci ne se laissait pas faire mais elle n'arrivait pas encore à prévoir à quel moment elle atteignait ses limites en matière de patience. Le regard dur et glacial de Matheyna était adressé au jeune homme qui lui faisait face et devait la surplomber d'au moins une tête et demie. Elle demeura de marbre mais jugea plus sage d'écouter sa petite sœur.

– Mille excuses, acheva-t-elle toujours excédée.

– Oui, tu fais bien parce qu'il n'y a pas moins d'une minute il avait encore une lance dans la main, reconnut Lucyana, relativement lucide sur les faits.

     Le ton était sarcastique mais elle n'en restait pas moins sérieuse.

Matheyna aurait mieux fait de garder sa langue dans sa poche, car elle ne savait vraisemblablement pas comment tous allaient réagir face à sa réponse cinglante.

– Bien ! Voilà qui est dit ! Intervint Deana.

     Deana pour sa part, apprécia que quelqu'un tienne tête à son fils, car il pouvait parfois se montrer fort désagréable envers les personnes qu'il ne connaissait pas et elle soupçonnait son cher et tendre d'être un tantinet de son avis, même s'il ne le reconnaissait pas aisément.