1. La Tempête
liste des chapitresLucyana claqua bruyamment la porte de la voiture garée sur le bas côté de la route que seuls les phares éclairaient dans la nuit noire, puis elle s'installa confortablement sur le siège passager. Comme la porte s’était ouverte, la petite lumière de l’habitacle s’alluma, laissant voir le visage impatient de Matheyna, assise au volant.
Lucyana laissa tomber son sac à dos bariolé à ses pieds dans un bruit sourd avant de retirer ses gants noirs en laine polaire qu'elle posa délicatement sur ses genoux. Elle frotta vivement ses mains gelées et pâles mordues par le froid l'une contre l'autre, et tenta de les réchauffer. Engourdies, la friction les réveilla un peu.
Le doux bruit du moteur, l’autoradio en fond sonore et la chaleur du chauffage auraient aisément pu la transporter dans le monde des rêves si elle n’avait pas eu aussi froid.
– Vas-y plus fort sur la porte la prochaine fois ! Protesta Matheyna avec une moue un tantinet désespérée.
Le claquement de la portière avait été presque surprenant.
Sa sœur était très minutieuse quant à l'état de sa voiture et Lucyana pouvait parfois, voire souvent, être brutale.
– Pardon, j'ai pas réussi à retenir la porte assez longtemps, se défendit-elle persistant à essayer de réchauffer ses mains meurtries, les yeux rivés sur la boite à gants devant elle.
De la buée sortait de sa bouche tant la température à l’extérieur était basse.
La conductrice augmenta sensiblement le chauffage qui soufflait depuis déjà un moment, puis elle ramena derrière son oreille une mèche rebelle de ses longs cheveux bruns avant de se tourner vers sa sœur, déterminée à poser sa question cruciale.
– Où étais-tu passée ? La sermonna-t-elle. Ça fait des heures que je tourne en rond dans cet endroit perdu et impossible de te joindre ! Et le fait que rien ici ne soit éclairé n’a pas aidé, insista-t-elle.
Elle semblait on ne peut plus sérieuse et Lucyana savait fort bien que sous ce prétendu air détendu, sa sœur bouillonnait de l'intérieur. Matheyna et elle n'avaient que quelques années de différence et ne se ressemblaient pas vraiment, mais leur caractère intempestif restait quasiment le même. Elle se doutait donc que sa très chère sœur n'allait pas se laisser avoir par de simples explications hasardeuses et malgré son petit gabarit, elle pouvait se montrer impitoyable et par moments, même faire peur. Lucyana sourit tandis que seul le ronronnement du moteur et le son presque imperceptible de l’autoradio brisaient un court silence.
– Désolée, ici y'a pas de réseau, ou très peu et j'me suis perdue dans les bois. J'ai eu peur d'ailleurs, alors j'ai essayé de rejoindre la route au plus vite pour que tu me voies sur le chemin, répondit-t-elle en fouillant dans son sac pour remplacer ses chaussures à talons hauts par des baskets noires plus confortables.
L'insouciante apprécia l'air chaud qu'elle sentait à présent sur son visage et replaça correctement son bonnet blanc à pompon sur ses oreilles. Là ! C’était bien mieux ! Elle glissa sur le siège, cherchant à trouver une meilleure assise.
Elle semblait tellement fragile. Elle était plus petite que Matheyna mais plus musclée et cela lui allait parfaitement. Elle renifla puis se tourna vers sa sœur qui l'observait, cherchant la vérité sur son visage.
– Mouais ça va, j’te crois, de toute façon je sais quand tu mens, saleté ! Mais bon, avec le téléphone dernier cri que t'as il aurait pu trouver un réseau quand même..., rétorqua Matheyna avant de remettre les mains sur le volant et de s’apprêter à reprendre la route.
Elle se tortilla sur son siège pour retrouver une position convenable, tira un peu sur son écharpe aux camaïeux de rouges et de violets qui commençait légèrement à l'étrangler, et souffla.
– Pour une fois qu'on peut avoir un vrai temps d'hiver je vais commencer à regretter nos températures plus chaudes, c'est bon ? t'es prête, on peut y aller ?
– Prête ! répondit la petite sœur en montant le son de l'autoradio.
Elle tira ses longs cheveux bruns piégés dans le col de son manteau, puis s'appuya lourdement sur le dossier du siège.
– C'est bon tu peux y aller ! poursuivit-elle.
Matheyna activa le clignotant, et dans son cliquetis habituel, elle enclencha la première, puis quitta lentement l’emplacement de terre sur lequel elle avait arrêté la voiture tandis que les roues écrasèrent bruyamment le sol. Le véhicule marqua le sol en deux sillons bien parallèles. Elle rejoint ensuite tranquillement la route bordée de pins, prête à enfin rentrer chez elle. Elle n’avait qu’une seule envie : rentrer chez elle et s’affaler sur son canapé avec une tasse de thé brûlant à la fleur d’oranger et le son de la télévision en fond sonore. Elle sentait déjà le parfum délicat de l’eau frétillante mélangée à la fleur d’oranger quand soudain, une voix aiguë et pleine de détresse interrompit le cours de ses pensées.
– Mana arrête toi, vite ! Se précipita Lucyana.