2. Un autre Monde
liste des chapitresLorsqu'il posa enfin un pied au sommet de la plus haute colline, Dryl ajusta soigneusement sa capuche sur sa tête et resserra son cache nez, puis il remercia silencieusement le ciel d'être encore en forme à son âge pour ce genre de périple. Son âge était pour lui dur à accepter, et après tant de bons et loyaux services, il venait frapper à sa porte. Il planta la pointe de son arc dans la terre et s'en servi d'appui. Cet arc était de loin son arme favorite ; un mètre cinquante de bois d'Yf des montagnes, taillé et sculpté par les maîtres d'art du royaume. Ce bijou était une œuvre complexe sculptée de volutes et d'arabesques typiques de l'art dominant de ses ancêtres, et il l'avait reçu en cadeau de sa souveraine pour ses jadis loyaux services à la cour. La poignée étant recouverte de peau de bête, il était très agréable de manier une telle arme de destruction et les flèches avaient spécialement été conçues d'un bois des plus solides et pourtant très souple pour cet homme grand et costaud.
Il descendit le cache nez sur son menton, et porta une main rêche et calleuse à sa barbe naissante. Il se frotta le menton fronçant ses épais sourcils clairs et parsemés de minuscules flocons de neige, faisant ainsi apparaître ses quelques rares rides prononcées.
Il plissa ses yeux bleu-céruléen comme pour voir plus loin, balaya la plaine enneigée du regard et l’arrêta au niveau de la forêt, beaucoup plus loin dans la plaine. Il n'avait pas connu un tel hiver depuis des décennies déjà et il se surprit à penser que cela ne lui avait pas manqué. L’hiver avait une odeur particulière ; celle de la terre humide au petit matin, des pins dont le parfum âpre des aiguilles prenait le dessus sur les autres feuilles et aussi celle de la nostalgie des beaux jours. L’air froid mais sec, entrait inlassablement dans ses poumons protégés par cet épais cache-nez, et il le sentait s’insinuer à chaque inspiration. Son corps, s’il n’était pas bien couvert, ressentait les douleurs dans les articulations et les tiraillements sur sa peau. Malgré les années passées dans ces Plaines et les ajustements créés par son organisme pour s’adapter au climat rude, Dryl frissonnait chaque fois qu’il passait la porte de la maison pour sortir.
Les Plaines était un endroit étrange. Doux et rude à la fois. Le soleil éclairait de magnifiques paysages aux couleurs chatoyantes laissées par les dizaines d’espèces d’arbres présentes dans la forêt mais les Plaines abritaient également des choses bien plus sombres, et dangereuses. Mais ce matin-là, tout était calme, la brise dormait encore et même les oiseaux demeuraient silencieux.
Chasser par cette saison s'avérait relativement compliqué, car les bêtes se terraient de plus en plus loin pour se protéger du froid glacial et mortel. Seuls les ours des Plaines, l’une des bêtes les plus féroces de la plaine, s'aventuraient encore au-dehors à la recherche de proies qui pourraient faire l'affaire d'un bon repas avant l'hibernation.
Les yeux clairs de ce grand gaillard parcouraient les grandes étendues de neige à la recherche d'un signe ; il ne savait guère en réalité ce qu'il cherchait mais le grognement qui se fit entendre du fond de son estomac le lui rappela vivement.
Quelque chose vint alors inopinément chercher sa main ; une énorme tête poilue avec de grands yeux jaunes et une truffe humide se frotta contre la paume de sa main rugueuse.
– Ah, te voilà enfin toi ! Où donc étais-tu encore passé ? Lui demanda-t-il en tapotant gentiment le sommet du crâne de l'animal.
On pouvait apercevoir l'air chaud s'échapper de la bouche du montagnard alors qu'il prononçait ces paroles. Il sourit, et une étincelle de malice apparut alors au fond de ses yeux bleus.
Le gros chien-loup noir bascula la tête vers son maître et lui aboya quelque chose comme pour lui répondre.
Son maître s'esclaffa de bon cœur.
– Quelle chance tu as toi de posséder une si belle et épaisse fourrure, la mienne est beaucoup moins chaude.
Il rit de nouveau.
Dans son malheur, Dryl avait néanmoins de la chance car ses vêtements tenaient chaud. Ces longues années passées sur cette partie exilée du royaume avaient appris à son épouse à confectionner des vêtements de peau inspirés des traditionnels habits du royaume par-dessus lesquels était attachée une longue et épaisse cape en fourrure noire d'ours des Plaines. Pour couronner le tout, une immense capuche y était cousue. Il portait également de grosses bottes d'un marron soutenu, fourrées de laine de mouton dont il faisait l'élevage, et ses gants étaient doublés de cette même laine, laissant apparaître les extrémités des doigts pour une meilleure utilisation de l'arc.
Parfois il en arrivait à se maudire pour sa loyauté envers la Couronne, car c'était cela qui l'avait conduit si loin dans les Plaines gelées. Mais son devoir était crucial et il n'avait d'autre choix que d'achever sa mission.
Il sentit soudain l’animal s'agiter à son côté et cela interrompit le fil de ses pensées.
– Qu'y a-t-il Pachoù ? Tu as senti quelque chose ? S'enquit-il.
Pachoù huma l'air autour de lui, les oreilles dressées sur sa tête, et se mit à aboyer à l'attention du chasseur, puis il se mit à grogner dangereusement.
Quelque chose se passait. Il le devinait, car son fidèle ami ne se trompait jamais. Quelque chose d'anormal arrivait, c'était indéniable.
– Allons voir ça de plus près veux-tu ? ajouta-t-il plus sérieusement.