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3. Un brin de Magie

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     Ce n’est qu’une fois réunies, que les deux sœurs prirent le temps de regarder tout autour d’elles, dans un silence paisible quasi total que seuls les bruits de leurs pas dans la neige pouvaient briser.

Le paysage n’était pas bien différent du précédent ; il y avait toujours de la neige presque partout, et elles étaient toujours trempées jusqu’aux os. Les oiseaux, jusque-là dissimulés dans les quelques arbres, s’étaient tus à l’approche soudaine des intrus. Puis, reprenant leur chant avec prudence, ils furent subitement interrompus par les aboiements retentissants de Pachoù !

     Lucyana avait terminé les yeux rivés sur ses pieds ; son plus beau jean était juste bon à jeter et elle déprimait à cette seule pensée. Ses chaussettes étaient trempées à cause de la neige et elle ne sentait plus ses orteils. Ses chaussures la faisaient souffrir, et elle se remerciait silencieusement d’avoir changé les précédentes avec des baskets. Même si elle était parvenue à fuir avec, elle se demandait encore comment elle avait pu réussir à les garder presque intactes. Elle avait toujours aussi froid, même avec son épais manteau qui tombait jusqu'à ses reins, et son sac à dos commençait à faire son poids. Jusque-là elle l’avait oublié, mais maintenant qu’elle s’était arrêtée, elle réalisa à quel point il avait été présent sur ses épaules. Et surtout, ses côtes la faisaient toujours autant souffrir, si ce n’est plus.

Sa sœur se sentait plus à l’aise dans ses bottines noires fourrées, qui montaient beaucoup plus haut, et emmitouflée dans son joli manteau clair qui ne l’était plus du tout. Elle sentait probablement un mélange de terre boueuse et de sueur, mais elle était surtout lasse de rester dehors sans fin. Le soleil était monté de plus en plus haut dans sa course lorsqu'une maison se fit voir à peine plus loin. Elle était seule, comme abandonnée au milieu de rien. Il n'était pas trop tôt, car la fatigue commençait à se faire sérieusement sentir.

Où étaient-elles ? Pourquoi étaient-elles arrivées ici ? Et surtout, comment cela était-il possible ?

     Ils arrivèrent à hauteur d'une maison faite de pierres et de bois massif entourée d’un perron. Elle n'était pas grande, mais elle n'était pas petite non plus. Cependant, elle était toute en hauteur. Deux énormes troncs de cèdre dégageant leur parfum sauvage trônaient de chaque côté de la construction et soutenaient l’imposante toiture en chapeau faite de rondins de bois et d’ardoise. La porte en revanche était immense. Du bois sombre sculpté des mêmes genres de motifs que ceux de l'arc de Dryl. Elle devait sûrement peser une tonne étant donné la grosseur des gonds mais elle était magnifique, et invitait à entrer. Une énorme poignée ronde en fer forgé prenait place au centre de cette porte hors norme.

Le soleil qui cognait sur la maison rendait la scène un tantinet féerique et même un peu magique, et il y avait dans l’air comme la douce odeur de la forêt qui flottait jusqu'à leurs narines. Sans doute due aux bois utilisés pour la construction de la maison.

     Dryl, qui tenait toujours fermement Matheyna, devança Lucyana et Pachoù et monta avec elle les quelques marches du perron. Il agrippa la poignée et la fit tourner dans un sens, puis dans un autre. Il recommença comme s'il s'agissait d'un code qui en permettait l'ouverture. Un clic délicat retentit, puis il ouvrit la porte dans un bruit sourd, mais grinçant, et entra avec Matheyna, suivi des deux autres.

   La chaleur s'empara instantanément des arrivants. La pièce dans laquelle ils pénétrèrent était plus ou moins grande et disposait d’un plafond cathédrale, mélange de charpente en bois et arcs-boutants façonnés en pierres, à l’instar des murs qui étaient construits sur le même modèle ; un travail aussi délicat que beau dont la hauteur permettait l’existence d’une immense mezzanine soutenue par quelques poutres ici et là. Une architecture qui conférait à l’endroit un air de sanctuaire. Seul un feu de cheminée réchauffait cet endroit. Au centre de la pièce, devant eux, il y avait une table rectangulaire en bois au teintes brunes bordée d’énormes clous noirs qui formaient un cadre, et accompagnée de ses bancs assortis. La table était encadrée, à gauche par la cheminée, à droite par une immense fenêtre aux couleurs chatoyantes. L'âtre imposant entièrement fait de pierres blanches quelque peu noircies par les longues heures de feu était construit sobrement et abritait une crémaillère à laquelle était suspendue une marmite qui dégageait déjà une bonne odeur de nourriture. Face au foyer étaient installés trois gros fauteuils de couleurs différentes, posés sur un tapis tissé de blancs, de marrons, et de beiges. La fenêtre quant à elle, dispensait une lumière douce et sereine et faisait presque toute la hauteur du mur jusqu’en haut de l’étage. Des baguettes en bois noir encadraient la vitre et la décomposaient en carreaux, certains peints de différentes couleurs teintant probablement la lumière qui les traversait. Elle comportait un fenestrons situé sur le côté que l’on pouvait ouvrir et fermer par un petit loquet. 

Il était étrange qu'une famille d'apparente condition de chasseur ou de trappeur puisse posséder tant de pièces d'art dont un bel escalier au marches vernies directement situé à gauche de la porte d'entrée et en dessous duquel on apercevait une porte qui menait sans doute vers une autre pièce. Visiblement, cette demeure était à elle seule une œuvre sans pareille. Dryl laissa passer devant lui Lucyana et Pachoù, dont les griffes cliquetaient sur le parquet, ainsi que la seconde sœur avant de pousser la porte derrière lui qui se ferma lourdement dans un craquement sourd comme le froid commençait à envahir la pièce.

     Les filles n'osèrent pas bouger d'un pouce quand une femme d'une cinquantaine d'années en apparence entra dans la pièce par l’immense arche qui se situait sur le mur du fond. Elle donnait sur petite pièce, une sorte de garde-manger consistant en un plan de travail, un évier en fonte surmonté d’une canne en cloche équipée de robinets estampés de cercles de céramiques et de quelques paniers en corde épaisse dans lesquels végétait toute sorte de nourriture, tantôt fraîche, tantôt sèche.

     La maîtresse de maison était une belle femme malgré les années marquées sur son visage. Ses cheveux d'un blond cendré presque châtain étaient noués en tresse à deux brins qui descendait jusqu'à sa taille fine. Elle était à peine plus grande que les deux sœurs mais Dryl faisait presque deux fois la taille de sa femme. Sa peau claire laissait apparaître ses pommettes légèrement roses, et son visage finement ciselé portait deux yeux d'un bleu profond et un petit nez joliment dessiné. Elle portait une longue robe bleu azur au tissu noble à première vue, aux manches parsemées de motifs de velours plus foncé, et la taille était surmontée d'un corset noir visiblement fait de cuir de qualité. Ses yeux se plissèrent à peine, rendant visibles quelques petites rides à leur coin externe et ses sourcils clairsemés se froncèrent en voyant tout ce monde dans sa maison.

     Pachoù se secoua vivement pour enlever les restes de neige poudreuse de son épaisse fourrure et alla convoiter la chaleur du feu en s'étalant de tout son long sur le sol devant la cheminée.

– Dryl, pourrais-tu m'expliquer ce qu'il se passe ici s'il te plaît ? Et qui sont ces demoiselles frigorifiées et si mal en point ?

     Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, car elle continua dans sa lancée et se précipita vers elles.

– Venez ! Installez-vous près du feu mes enfants, il faut vous réchauffer et examiner votre état. Mais qu’est-ce qui vous est arrivé bon sang ? Demanda-elle en lançant un regard inquiet à son époux

– C'est Pachoù qui les a trouvées, elles étaient traquées par un ours des Plaines, s'enquit-il.

     L’intéressé, comme à chaque fois, aboya une nouvelle fois pour exprimer sa prouesse.

Une expression sombre se lisait à présent sur le joli visage de Deana.