Les traits de son visage se détendirent d’un seul coup, et il esquissa un sourire d’enfant émerveillé.

— Elle…, quoi ? demanda Lucyana comme si elle n’avait pas entendu les mots qu’il venait de prononcer à haute voix.

     Elle reposa précautionneusement au sol le corps de sa sœur.

— Elle se régénère, répéta-t-il toujours fasciné par cette découverte incroyable.

— Lors de la régénération, les battements du cœur sont si lents, qu’ils s’apparentent à la mort, expliqua Shenann.

        Il était arrivé si silencieusement derrière elle, qu’elle ne s’était même pas rendu compte de sa présence à leurs côtés. Lucyana regarda sa sœur un petit instant ; elle semblait si apaisée qu’on aurait pu dire qu’elle dormait. Elle ne comprenait pas tout ce qu’il était en train de se passer, mais ce qu’elle savait au moins, c’était que sa sœur était encore en vie. Cela lui suffisait amplement.

L’esprit d’Hayden s’illumina soudainement.

— Shenann, lorsqu’ils parlaient de leur livrer les mages, ils ne parlaient pas de nous n’est-ce pas.

— Non… c’est d’elles qu’ils parlaient.

       Son visage s’assombrit profondément.

Lucyana fronça ses sourcils bruns. Elle ne voyait pas trop le rapport entre ce guet-apens, et elles. Elles n’avaient aucune valeur. Ni dans ce monde, ni dans l’autre.

— Vous faites erreur, nous ne sommes ni mages, ni rien d’autre, insista-t-elle encore à genoux près de sa sœur.

— D’après toi, comment ce glaive est-il arrivé dans ta main ? demanda-t-il en désignant du menton l’arme plantée dans la gorge de l’un des assaillants.

— C’était pas vous ? hésita-t-elle.

            Il secoua la tête.

— C’est impossible, je ne connais rien à la magie.

— Mais elle, elle te connaît, et visiblement, elle connaît aussi ta sœur.

            Si ses bras pouvaient tomber, c’est exactement ce qu’il se produirait en ce moment.

— Vous êtes liées aux artefacts, et de n’importe quelle manière, ils le savent.

— Alors il nous faudra être d’autant plus prudents, intervint Caleib d’un ton ferme en arrachant tout naturellement son glaive de l’homme empalé au sol. Allons à l’étage, je pense que nous aurons l’embarras du choix concernant les chambres libres pour cette nuit.

            Lucyana remarqua le sang qui coulait de l’épaule du jeune apprenti.

— Ton épaule, commença-t-elle.

— Il faudra soigner ça, intervint le sorcier, tandis qu’Hayden examinait son propre corps encore anesthésié par la chaleur de l’effort.

            Shenann jeta un œil aux corps autour d’eux. Ce n’était pas joli à voir. Il chercha encore, mais il ne retrouva pas le sorcier qu’il avait affronté plus tôt. Il trouva à la place, un Perverti. Il avait donc réussi à berner la magie des Invisibles. Son corps s’agita soudainement comme pris de spasmes, retenant l’attention et le souffle de chacun. Un serpent s’extrayait de la bouche du cadavre, mais il n’eut pas le temps de ramper que déjà Shenann lança l’une de ses lames pour lui trancher la tête, sous les yeux exorbités de Lucyana. Le petit reptile continua de ramper sur plusieurs centimètres, avant de s’immobiliser complètement.

— C’est un traqueur. Quelqu’un nous surveillait, avertit Shenann.

            Cela ne faisait qu’empirer une situation déjà très délicate. Il espérait que son ennemi croirait qu’ils allaient quitter les lieux sur le champ ou qu’il ne soit pas encore au courant que tous ses guerriers étaient morts sous les coups d’une force encore inconnue, bien qu’il ait déjà sa petite idée concernant la fameuse onde de choc.

Un bruit de casse retentit près du comptoir derrière eux. Caleib posa un doigt sur ses lèvres, intimant le silence aux autres. Il s’approcha à pas feutrés de l’endroit d’où venait le bruit, et brandit son glaive prêt à trancher quelques têtes si nécessaire. Il leva son arme au-dessus de sa tête et s’apprêta à l’abattre sur le premier venu, mais il s’arrêta dans son élan. Il trouva une femme recroquevillée sur elle-même derrière le comptoir. Cette femme, terrorisée, le supplia de ne pas lui faire de mal. Elle tremblait, et pleurait en même temps, et elle semblait déboussolée.