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21. De Foudre et d'Argile

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         Après avoir pris un long bain chaud dans l’aile du château réservée à la Grande Garde, Deana se rhabilla et prit la direction des écuries sous le manteau de la nuit. Ses cheveux blonds encore humides faisaient naître quelques frissons à la base de sa nuque, mais elle n’y prêta guère attention. L’étoffe blanche qu’elle portait autour du cou la protégeait des assauts du vent mais pas assez pour lui éviter d’avoir les oreilles à découvert. Malgré cela, la soirée se faisait plutôt douce, comparée à celles dans les Plaines. Elle priait pour que, là-bas ou ailleurs, sa famille soit en sécurité. À peine fut-elle arrivée à l’entrée qu’elle entendit le cliquetis bien reconnaissable des griffes de Pachoù sur le sol. Il se leva de toute sa hauteur et lui réserva ce qui semblait être un accueil chaleureux. Il était tellement robuste qu’elle faillit tomber à la renverse si elle n’avait pas pris soin de s’ancrer correctement dans le sol. Il était si grand sur deux pattes qu’il pouvait presque lui lécher de visage. Elle rit de sa réaction et lui tapota vigoureusement le flanc en guise de caresse.

Elle entra ensuite dans la construction, dont la charpente apparente abritait des dizaines de stalles. Elle longea plusieurs d’entre eux dans le couloir central avant de tomber sur celui de sa jument, dont seule la tête sortait de l’ouverture. Elle ouvrit la porte munie d’un loquet qui grinça, et entra dans le box, suivie de près par son fidèle compagnon canin. Elle caressa la jument visiblement heureuse d’avoir enfin un peu de repos bien mérité, à boire et à manger à volonté. En silence, elle prit l’une des brosses disponibles dans un coffre à côté de la porte, et entreprit de brosser ses crins noirs, lorsqu’une voix retentit.

— Tu es là depuis plus d’une heure, et tu n’es même pas venue me dire bonjour, commença la voix faussement indignée.

          Deana arrêta son geste et sourit sans quitter la jument des yeux.

— Les nouvelles vont vite, Dame Jaël, répondit-elle sur le même ton.

— Les domestiques parlent, renchérit la première.

        Deana tourna enfin la tête vers une femme à la peau noire, aux longs cheveux aux multiples tresses parsemés de quelques perles. Ses yeux verts trahissaient son bonheur de revoir enfin son amie, et elle portait encore son uniforme de service.

Deana serra enfin la jeune femme dans ses bras comme elles ne s’étaient pas revues depuis de longues années.

         Jaël et Deana avaient fait leur entrée au sein de la Grande Garde ensemble, et elles ne s’étaient plus quittées jusqu’au départ de cette dernière pour les plaines. Les deux femmes étaient proches comme des sœurs, elles qui n’avaient de sœurs ni l’une, ni l’autre. Elles n’avaient aucun secret l’une pour l’autre, et pendant des années, elles avaient été inséparables. Puis Deana avait dû partir pour les Plaines. Ce moment avait été difficile pour toutes les deux, mais elles étaient dévouées au royaume et à sa sécurité, et elles connaissaient les risques. Jaël était elle aussi Voyageur, à la différence qu’elle, servait encore la Reyne au château. Deana enviait parfois son amie, car elle pouvait encore exercer son devoir, mais elle ne regrettait pas non plus la vie qu’elle menait dans les Plaines, même si elle avait été difficile par moments. Elle avait eu la chance d’avoir eu deux beaux garçons et bien que la vie lui en ait arraché un, elle remerciait chaque jour le destin de lui avoir donné tous ces instants de bonheur avec lui. Elle pria pour que son seul et unique fils à présent demeure auprès d’elle le plus longtemps possible.

Jaël prit son amie par le bras, et l’emmena à l’extérieur sous le regard mécontent d’Egade qui n’avait pas eu son brossage du soir. Fort heureusement pour elle, Pachoù lui était toujours de bonne compagnie, et s’était couché à ses pieds.

         Les deux femmes entrèrent enfin dans les appartements de Jaël, qui étaient typiquement standards de ceux de tous les éléments de la Grande Garde. Les Voyageurs et le Corps étaient tous logés dans une aile du château, et chaque appartement comprenait un grand lit, une coiffeuse avec un miroir, ainsi qu’une armoire. La salle d’eau était commune pour les femmes, et une autre était destinée aux hommes. Seuls les commodités, et le nécessaire de petite toilette étaient placés dans une deuxième pièce dans les appartements.

Les deux femmes s’installèrent sur le lit, et Jaël servit une tasse de thé brûlant, dont l’eau avait été chauffée plus tôt dans la cuisine commune. Avec entrain, elles commencèrent à se raconter leurs dernières aventures tout en veillant à respecter l’aspect confidentiel de certaines.

Jaël racontait comment elle avait réchappé de deux mercenaires pesants, lorsque son amie ressentit une douleur à la poitrine. Deana sentit son cœur s’arrêter soudainement, et son monde s’ébranler. Elle jeta un regard instinctif à l’anneau que Shenann avait ensorcelé, et celui était devenu aussi noir que du charbon.

— Non, pas encore, déplora-t-elle.

— Que t’arrive-t-il, s’inquiéta Jaël, un trouble dans la voix.

— C’est l’anneau que Shenann à ensorcelé pour moi, il est censé s’effriter s’il arrive malheur à Dryl, répondit-elle anxieuse.

— Et s’il devient noir, qu’est-ce que cela signifie ? questionna son amie.

— Je l’ignore, répondit Deana, désemparée.

         Le visage de son amie était empli de désespoir, et sa voix fatiguée tremblait légèrement. La sensation qu’elle éprouvait, et le poids sur sa poitrine ne trompaient pas. Son époux était en danger, et cela se présentait mal. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il s’en sortirait, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouvait. Elle savait que par tous les moyens, il saurait garder Caleib sain et sauf.

 

***

 

        Impuissant, Dryl vit son seul et unique fils s’éloigner de lui, poursuivi par deux monstres de glaise aux dents et aux griffes bien réelles.

Shenann avait raison, il fallait qu’il lui fasse confiance ; Caleib était de loin le plus à même de les mener jusqu’au château. À tout le moins, il l’espérait.

L’homme de brume en face de lui se délectait de la peur qu’il dégageait. Il riait aux éclats d’une voix désincarnée, inhumaine.