13. Le Royaume Fantôme
liste des chapitresIl faisait froid, sombre et humide. Le genre d’humidité qui pouvait s’engouffrer dans tout un corps ; la peau et les os. L’humidité était maîtresse en ces lieux, insipide et traître. Elle s’insinuait partout. Dans la moindre parcelle de chair, dans chaque cellule encore vivante, elle rampait tel un serpent avide qui cherche son repère.
Des gouttes d’eau glacée perlaient le long des stalactites et des murs de la grotte. Le silence mortuaire tapissait chaque centimètre carré de cet endroit pesant et étouffant. Quelques rats avaient élu domicile dans les recoins les plus inaccessibles de la grotte. Leurs minuscules pattes cliquetaient sur le sol pavé et froid.
La lumière avait été chassée de ces murs depuis bien longtemps, et seuls quelques fantômes du passé hantaient cette étrange demeure.
Dans une petite salle, quelque part dans les couloirs divers de ce dédale, sa présence envahissait les lieux.
Personne ne savait qui il était réellement, ou plus exactement ce qu’il était. Il existait, c’était tout ce que l’on savait par-delà les nombreuses frontières du Royaume. Cette présence malsaine et malveillante qui instillait la peur et la terreur depuis de longues années maintenant. Enivré de toute cette puissance, il ne parvenait plus à renoncer à son dessein ; la destruction, la domination, et la peur. Il ne vivait que pour une chose : annihiler toute volonté, tout espoir, toute liberté. La magie perverse était tellement supérieure, magnifique, sans limite. Il se voyait déjà le pouvoir entre ses mains délirantes. Il se voyait mener les expériences nées de ses fantasmes les plus fous, les plus néfastes, mais le contrôle de toute magie ne se faisait pas en claquant des doigts. Cela demandait un exercice de tous les instants, acharné et assidu car aller à l’encontre de tout ce que la nature a construit demandait beaucoup de talent. Malgré tous ses efforts, il savait qu’il serait incapable de soumettre tous les individus à sa volonté. En tout cas, pas sans eux ; il devait absolument trouver les artefacts avant eux.
Avec deux ou trois torches accrochées aux murs, sa longue cape noire aux bordures argentées était la seule source de lumière dans cette pièce étroite, et ses paroles chuchotées dans le vide étaient le seul son qui meublait le silence macabre autour de lui. Il ferait tout ce qui serait nécessaire pour les retrouver.
— Amenez-le, ordonna-t-il d’une voix grave, presque séduisante.
Deux Pervertis, l’un blond, l’autre brun, aux visages livides et aux yeux couleur abysses apparurent de nulle part. Leurs yeux étaient communs à tous les pervertis : ils étaient complètement noirs, avec du sable noir qui tournoyait autour. Ils traînaient un homme massif au crâne rasé, enchaîné derrière eux tel un chien mal léché. Ses orbites ensanglantées autour desquelles s’agitait le sable ensorcelé exprimaient la peur, ou plutôt la terreur. On lui avait arraché les yeux. Des veines aussi noires que le sable parcouraient son visage aveugle de toutes parts. Il balbutiait quelques supplications incompréhensibles.
Les pervertis le mirent à genoux. L’un d’eux tendit un petit paquet en velours noir fermé par un cordon.

Leur maître se saisit du présent et tira sur le cordon qui se dénoua, découvrant deux globes oculaires entièrement noirs.
— Voyons ce que tu as vu mon ami.
Le prisonnier se mit à sangloter.
— Ne pleure pas. C’est bientôt fini, assura-t-il.
Délicatement, il prit les deux yeux dans l’une de ses grandes mains étonnamment propres et soignées, et agita l’autre au-dessus des petits organes. Dans un accès de sorcellerie, ils lévitèrent, puis se transformèrent en faisceaux de lumière aux camaïeux pourpres, et s’engouffrèrent dans les narines du bourreau. Il inspira profondément, se délecta de cette magie instable, et ouvrit de grands yeux blancs et vitreux.
Il semblait découvrir une scène qui le fit sourire de toutes ses belles dents blanches. Le fracas des armes, le goût du sang, les cris d’effrois, et même l’odeur de la mort. Mais mieux encore, il voyait deux jeunes femmes au milieu du vacarme. D’étranges personnages dont l’essence sentait terriblement bon. Elles l’aideront à retrouver les objets, la raison pour laquelle il avait été amené ici il y a plusieurs années maintenant. Il se mit à rire d’un rire profond et grave. Puis il rit de plus belle, à gorge déployée. Il ressemblait à un fou. Il cessa aussitôt avant de reprendre son sérieux.
— Merci à toi mon brave. Tu peux retourner chez les morts.
Le prisonnier secoua frénétiquement sa petite tête penaude. Il ne voulait pas. Il pleurait de nouveau.
Le Maître souleva le menton de sa victime d’un doigt, sans même la toucher, puis, d’un geste de la main, lui trancha la gorge avec une lame invisible. L’homme s’effondra comme toute vie le quittait de nouveau.
D’un geste désinvolte de la main, le Maître les congédia tous autant qu’ils furent. Sans dire mot, les deux sbires disparurent dans la pénombre avec le corps inanimé.