14. Le Pouvoir se Réveille
liste des chapitresShenann était épuisé. Il avait puisé dans une grande partie de ses pouvoirs afin de venir en aide à son équipe. Il sentait la moindre fibre de son corps et de son esprit lui chanter qu’il avait été imprudent. Cela aurait pu très mal tourner. Il aurait facilement pu perdre le contrôle de la situation et tout aurait pu basculer en une fraction de seconde. Tous auraient été en grand danger.
Du haut de son assise, il se laissait bercer par le mouvement des foulées de Libaguë et de Safo. La pluie avait cessé depuis un moment maintenant et avait laissé place à quelques flocons de neige, mais leurs vêtements n’en restaient pas moins humides. Les traces continuaient de s’effacer sur leur passage, comme par magie. Toujours plongé dans ses pensées, le sorcier revoyait sans cesse les derniers évènements. Il ne parvenait toujours pas à comprendre ce qui avait pu se produire plus tôt. Plusieurs formes de magies avaient été à l’œuvre, et peut-être le mélange avait-il provoqué d’étranges phénomènes. Si l’on y réfléchissait, cela ne paraissait pas si étrange quand on savait ce dont la magie sauvage et brute était capable.
Les sabots des chevaux s’enfonçaient dans la boue et la neige, et le petit froid faisait rage, suffisamment pour affecter le moral de certains d’entre eux. Shenann avait demandé à son apprenti de s’exercer à effacer les traces qu’ils étaient susceptibles de laisser derrière eux, car il devait absolument se régénérer et il savait son apprenti serait parfaitement capable de s’atteler à la tâche. Il se laissa porter encore un peu, et se promit de tirer tout cela au clair plus tard.
Devant, Dryl menait le convoi, et il avait demandé à son fils de se placer en queue de peloton afin d’assurer une plus grande sécurité et de pouvoir avancer en toute sérénité, ou ce qui pourrait s’en rapprocher le plus.
Caleib avait suivi les ordres de son père et s’était retiré à l’arrière du convoi. Il se sentait tranquille. Là au moins, personne ne viendrait le déranger, sauf si l’une des filles se réveillait et commençait à lui parler. Elles pouvaient être bavardes quand elles l’avaient décidé. Le voyage s’annonçait long et difficile pour elles qui n’avaient jamais fait ce genre d’expédition, il le savait très bien. Il espérait seulement qu’elles iraient bien. Il frissonna. Le froid s’emparait de tous ses membres, et il avait hâte de s’arrêter pour allumer un bon feu et déguster un repas chaud. Il se mettait à la place des deux sœurs ; il repensait à ce que lui avait avoué Lucyana un peu plus tôt. Elles avaient perdu leurs parents dans un accident. Lui-même connaissait la perte d’un être cher et se rappelait le jour où il avait pleuré celui à qui il tenait tant.
Quelque chose s’agita dans la remorque devant lui, sous une des couvertures. Matheyna s’agita plus violemment avant de cesser. Certainement un mauvais rêve. Elle s’agita de nouveau, encore un peu plus cette fois. Soudain, elle se réveilla en sursaut, en sueur et haletante, la respiration hachée. Elle se redressa, et appuya son front sur l’une de ses mains moites. Dans un profond soupir, elle passa la main dans ses cheveux humides plaqués sur son visage pour les ramener en arrière.
Caleib fronça les sourcils, intrigué. Il se demandait ce qui avait bien pu lui causer de telles frayeurs pendant son sommeil. Sa sœur dormait encore, comme toujours, et la charrette continuait de rouler dans son grincement habituel. Les vêtements de Matheyna demeuraient humides, mais elle n’aurait su dire s’il s’agissait des conséquences de la récente averse ou bien de sa propre sueur. Elle leva les yeux devant elle et surprit Caleib en train de l’observer. Elle l’imita, fronçant elle aussi les sourcils, en se demandant depuis combien de temps il l’observait.
Il était assez près pour qu’ils puissent se parler.
— Depuis quand es-tu de ce côté du convoi ? demanda-t-elle.
— Un moment, répondit-il. Qu’est-ce qui te tourmente tant que ça te tire de ton sommeil si brutalement ? s’enquit-il intrigué.
— Un mauvais rêve.
— Un mauvais rêve ou un souvenir ? insista-t-il.
Elle eut un sourire faussement amusé, et planta son regard dans le sien. Elle n’était pas en colère, mais plutôt curieuse de savoir pourquoi il semblait soudainement intéressé par ce qui peuplait ses rêves, ou ses cauchemars.
Le jeune homme approcha sa monture plus près.
Contre toute attente, elle répondit à sa question.
— Mes parents ont été tués dans un accident. Cette nuit hante mes rêves.
— Le collier que tu tenais absolument à récupérer…
— Était à ma mère, acheva-t-elle simplement.
Caleib ressentit un pincement au cœur. Il pensait qu’en le sachant déjà, il serait moins pénible de l’entendre le dire mais il avait eu tort ; cela s’était avéré plus dur encore.
— Tu le savais déjà n’est-ce pas ?
Elle avait laissé tomber ces mots comme des couperets. Si bien, qu’il fut mentalement percuté de plein fouet. Comment l’avait-elle su ? Devant son expression paniquée, elle rit doucement.
— Ne fais pas cette tête, Lucya me l’a dit, avoua-t-elle en souriant.
Il se détendit d’un seul coup. Au moins, elle n’était pas capable de lire dans les pensées, fort heureusement pour lui.
— Et toi, reprit-elle, qui as-tu perdu ?
Elle l’avait pris au dépourvu. Un flot d’émotions se perdit dans son esprit torturé.