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23. Destination

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        Dans les écuries, Pachoù sommeillait paisiblement aux côtés de la jument de sa maîtresse, lorsqu’une sensation familière l’envahit. Il se réveilla subitement, dressa les oreilles sur sa tête, et se mit à humer l’air ambiant. Les sens en alerte, et la truffe aux aguets, il le reconnut. Il se redressa brusquement, remuant la queue d’impatience, et se dirigea instinctivement là où ses sens le guidaient.

         Les cheveux dansant dans la brise, Deana regardait au loin depuis le haut des remparts, comme chaque jour depuis des jours. Le vent soufflait son petit air matinal, et l’on pouvait voir sur les fleurs qui bordaient les jardins, la rosée perler sur les pétales encore frais, si l’on prenait le temps de bien les observer. L’embrun marin et ses odeurs lui faisaient aussi un bien fou. Elle n’avait que cela ; du temps pour observer. Elle guettait l’arrivée de son époux, et celle de son fils depuis si longtemps qu’elle pouvait presque évaluer le nombre de pierres qui composaient les remparts du château. Une mince brume jonchait les pierres au sol, annonçant une belle journée à l’horizon.

            Le ciel était clair, et aucun nuage ne viendrait sans doute perturber le bleu immaculé des cieux. Dans sa robe bleue en tissu noble, elle attendait un signe. L’anneau à son doigt était devenu noir, et elle n’osait pas espérer quoi que ce soit de bien heureux, néanmoins, elle tenait à revoir son mari, ne fût-ce qu’une dernière fois.

— Cela fait des heures que vous êtes dehors, vous devriez rentrer vous mettre au chaud, osa l’un des gardes de ronde.

— Merci, Sylvestre, je vais peut-être vous écouter pour cette fois, se résigna-t-elle dans un profond soupir, en lui posant une main reconnaissante sur le bras.

          L’homme en armure la voyait désespérer chaque jour, les yeux rivés sur le continent qui faisait face au château.

Lasse, elle détourna le regard, et s’apprêta à faire demi-tour.

— Madame ! prévint-il en attrapant son bras.

        Elle le regarda pointer son doigt au loin vers la forêt dense. Elle plissa les yeux, et vit quelque chose en mouvement, quelque chose qui se rapprochait à vive allure. Elle aperçut deux cavaliers en route vers les portes. Non, quatre cavaliers, en fait. Elle posa ses deux mains froides sur les pierres des remparts, et se pencha en avant pour mieux voir. Son cœur bondit alors dans sa poitrine de mère lorsqu’elle reconnut son fils, et Hayden, l’apprenti de Shenann. Ils étaient accompagnés des deux sœurs, mais elle ne vit aucune trace de Dryl, ni de Shenann.

— Ouvrez les portes, hurla-t-elle aux gardes plus bas.

         Les gardes obéirent sans poser de questions. Presque tous au château connaissaient Deana, et ses implications dans la Grande Garde. Le pont-levis se baissa pour laisser passer les cavaliers qui arrivaient au grand galop. Deana se précipita aux pieds des remparts afin de les accueillir comme il se devait.

 

***

 

            Après plusieurs jours de voyage, tantôt à pied, tantôt à cheval, Hayden aperçut enfin les tours du château au loin. Affamés, et épuisés, ils désespéraient de se voir un jour arriver à destination. Caleib et Matheyna étaient toujours liés l’un à l’autre, le sort n’étant dissipé que lorsqu’ils mettaient pied à terre pour laisser souffler Légion ou bien lorsqu’ils faisaient une pause de quelques heures à peine. Le jeune homme était encore terriblement mal en point, et tous faisaient de leur mieux pour le maintenir en vie. Hayden avait appris aux filles à récolter les herbes, à préparer la décoction pour la fièvre, et à bien appliquer le précieux onguent de Shenann. Lucyana avait renoncé à soigner ses plaies pour permettre à Caleib d’en avoir plus pour lui. Elle peinait à rester en selle, car Hayden étant imposant, il prenait beaucoup de place sur la selle. De plus, la faim se faisait ressentir un peu plus chaque jour, et l’épuisement aurait bientôt raison de son bon caractère. Tous étaient à bout de forces, sales, et leur estomac criait famine. Les chevaux étaient eux aussi épuisés. Même avec leurs aptitudes. Mais ils restaient fidèles au poste, et avançaient à la cadence imposée par Hayden. Ils sortaient à peine du bois, au petit galop, lorsque devant eux, au loin, se dressaient les tours du château. Hayden ralentit le pas.

— Nous y sommes ! s’écria Hayden, le château de la Reyne Virgile.

— C’est là que nous allons ? demanda Matheyna

— Oui Madame ! répondit-il avec une allégresse non feinte.

          Sans prévenir, il talonna sa monture, et la lança au grand galop, prenant de cours sa passagère qui dut se cramponner pour de pas perdre l’équilibre. Légion lui emboîta machinalement le pas, et se lança lui aussi au grand galop, sans même attendre les ordres de sa cavalière, qui, grâce au lien, avait anticipé les mouvements de l’animal comme l’aurait fait Caleib. Ensemble, ils couvrirent à toute allure les derniers mètres qui les séparaient de leur destination, de ce pour quoi ils avaient tant donné d’eux même, et de ceux dont ils attendaient beaucoup de réponses.

À cette vitesse, la brise fouettait leur visage comme s’il s’agissait d’un vent puissant, et leurs doigts étaient depuis si longtemps accrochés aux rênes, qu’ils semblaient avoir fusionné avec elles. Quelqu’un ordonna l’ouverture des portes, si fort, qu’ils l’entendirent de là où ils se trouvaient.

Le pont-levis s’abaissa progressivement, et sans ralentir la foulée, ils se précipitèrent sur les remparts juste au moment où le pont toucha le sol. Ils traversèrent la Corde claquant les sabots sur les sols pavés. Dans un dernier élan, ils franchirent les derniers mètres qui leur restaient, puis arrivèrent en trombe devant les grands escaliers des portes du château.

Hayden et Lucyana descendirent de selle les premiers et se dépêchèrent d’aider leur ami, laissant Safo entre les bonnes mains des écuyers présents. Légion se coucha au sol, et Matheyna mit pied à terre, rompant immédiatement le sort de lien. Caleib s’effondra, immédiatement soutenu par Hayden qui l’aida à se relever. À son tour, Matheyna laissa Légion à d’autres, mais pas avant de l’avoir remercié dignement. Pachoù arriva en trombe près du petit groupe, il renifla instantanément la jambe blessée de Caleib, et se mit à grogner juste avant de se coucher à ses pieds et de pousser de petits couinements de chagrin comme s’il avait senti que quelque chose n’allait pas.

         Essoufflée, Deana arriva jusqu’à eux en courant.