6. La Lettre
liste des chapitresDryl et Deana venaient de regagner leur chambre après avoir fait place nette dans la salle à manger et pris un bon bain chaud. Deana avait installé le lit d’appoint de Caleib avec son aide, puis avait rejoint son époux dans leur chambre. Les lanternes qui éclairaient la chambre étaient accrochées au mur, comme celles du couloir. La pièce sobre était conçue de manière différente de l’autre chambre. Elle comprenait un grand lit central à baldaquin en face de la porte et d’une coiffeuse en bois noble. Elle était façonnée simplement, avec des courbes fluides et épurées, surmontée d’un miroir ovale à l’encadré sculpté, et couplée avec un tabouret à bonne hauteur. Un bahut comprenant les vêtements et servant aussi de bureau (car il comportait un renfoncement pour les jambes et une chaise) reposait sous la fenêtre en face de la porte. À côté, une grande armoire contenait les quelques robes de Deana. Les meubles étaient assortis de manière harmonieuse et leur rappelaient leur vie avant les Plaines.
Vêtue d’une robe de chambre écrue, Deana s’était assise à sa coiffeuse, avait dénoué sa tresse et commença à brosser ses longs cheveux blonds. Elle jeta un regard terne dans le miroir, laissant apparaître de rares rides aux coins de ses yeux et vit son époux assis à la petite table, semblant s’adonner à l’écriture d’une lettre.
— À qui écris-tu ? le questionna-t-elle, tout en connaissant la réponse.
Sa voix débordait d’une telle innocence que Dryl ne put que lui dire la vérité.
— À mon vieil ami, avec qui d’autre pourrais-je entretenir une correspondance ? Tu sais très bien que j’écris seulement quand je n’ai pas d’autre choix, et une visite à cheval prendrait bien trop de temps. Quant à Pachoù, il crée des portails uniquement lorsque cela lui chante, dit-il avec un soupçon d’agacement dans la voix.
Elle sourit. Il avait raison ; personne ne savait pourquoi Pachoù créait des portails de manière aléatoire, et personne ne le saurait sans doute jamais.
— Oui, cela ne fait aucun doute je le crains. Va-t-il lui-même se déplacer dès la réception de ta nouvelle ? le questionna-t-elle tout en brossant encore sa chevelure soyeuse.
— Je l’espère vivement car je ne sais pas quoi penser de tout cela.
Sa voix était emplie de doutes et d’inquiétudes, mais il préféra les taire. Pour le moment.
Dans son épaisse robe de chambre bleu roi, Dryl était penché sur une feuille de papier éclairée par une flamme, et la plume blanche de hiboux qu’il tenait fermement dans sa main droite noircissait progressivement le papier jusqu’alors vierge en émettant le son caractéristique de la plume qui gratte le papier. Il dessinait ses lettres avec une précision appliquée et choisit ses mots avec la plus grande prudence. La personne qui recevrait ce message comprendrait que l’urgence naissait dès sa lecture.
Lorsqu’il eut terminé d’écrire les derniers mots, il signa la missive de ses initiales.
… Il est temps, mon vieil ami.
D.E.
Il plia le papier qu’il scella à l’aide d’une flaque de cire blanche et chaude provenant de la bougie qui lui servait de lumière et d’un sceau de sa lignée ; un héron déployant ses ailes au milieu de joncs.
Une fois cela fait, il prit l’enveloppe dans sa main puissante, mais qui avait connu bien de rudes hivers et froissa le papier. Il se pencha ensuite vers la fenêtre et l’ouvrit.
Il tendit son poing dans lequel était emprisonné le papier quand de minuscules étincelles commencèrent à y crépiter. Il ouvrit alors sa main, et au contact du froid, l’enveloppe se désintégra en petites cendres blanches et noires aux bords encore incandescents qui s’envolèrent au-dehors.
Les minuscules particules de papier s’en iraient trouver le destinataire et se recomposeraient alors en un pli qui n’attendrait plus que d’être lu.
Il resta là un instant comme s’il cherchait à suivre les petites lueurs jusqu’à leur destinataire. Ses yeux perdus dans le vague montraient clairement la vieillesse qu’ils recelaient, mais ils restaient vifs et vigilants.
Au bout d’un moment qui lui parut durer une éternité, il ferma la fenêtre, laissant son message à son propre sort, et partit se coucher. Si tout se passait comme prévu, les prochains jours risquaient d’être mouvementés, et ce, pour chacun d’entre eux.