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15. Temposis Memoriae

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        Ils firent leurs premiers pas sur les pavés d’un magnifique petit village aux antipodes du premier qu’ils venaient de quitter à l’instant, si bien, qu’on eut peine à croire qu’il ne s’agissait en réalité que d’un seul et même village. Les maisons étaient, à l’instar de ce qu’ils avaient vu précédemment, réparties de part et d’autre de la rue pavée principale qui donnait sur une placette au centre de laquelle se trouvait une fontaine en pierre surmontée d’une statue représentant un cheval sauvage en train de cabrer. Des dizaines de petits commerces entouraient la place du village, et celle-ci donnait naissance à plusieurs petites ruelles attenantes, le tout formant une cartographie en forme de toile d’araignée. Ce système ingénieux était bien plus pratique pour se repérer dans le village, bien que les habitants dussent certainement connaître l’endroit sur le bout des doigts. Le village était donc sans doute beaucoup plus étendu qu’il n’en avait l’air. Les maisons étaient propres, bien que marquées par les effets du temps, l’air était bien plus respirable, et les gens paraissaient nettement plus sereins. Les sabots des chevaux claudiquaient sur le sol pavé annonçant leur arrivée. On n’entendait rien non plus de ce qui se passait de l’autre côté des portes. Les voyageurs étaient loin d’être discrets en débarquant ainsi, avec leur charrette et leur convoi, mais les habitants n’y prêtèrent guère attention.

— Comment se fait-il que personne ne prête attention à des passants qui viennent de traverser leurs portes ? demanda Matheyna à qui voulait bien l’écouter.

— Les gens se sentent en sécurité avec ce genre de dispositif, et puis ils ont certainement l’habitude de voir passer toute sorte de personnes, répondit Shenann.

            Matheyna ne dit rien. Elle se contenta de réfléchir à ce qu’il venait de dire. La nature humaine était à l’évidence, sensiblement la même d’un monde à l’autre.

Le cortège continua d’avancer jusqu’à la place centrale où il s’arrêta devant l’un des nombreux commerces. On pouvait lire sur la pancarte devant la porte « Chez Ellias ».

            Dryl arrêta son cheval devant la petite maison qui servait de boutique, et il mit pied à terre, imité par son fils qui commençait à ne plus sentir ses fesses. Lorsqu’il toucha enfin le sol, Caleib fut ravi de constater que ses jambes fonctionnaient toujours merveilleusement bien, si l’on mettait de côté le petit désagrément de la douleur qui pointait le bout de son nez de temps à autre, mais pour l’heure, il se demandait surtout pour quelle raison ils s’étaient arrêtés ici. Il attacha sa monture à l’un des montants de la charrette, et lui donna une friandise que l’animal mangea avec entrain. Il flatta son encolure et appuya sa tête contre lui pour écouter son grand cœur battre lentement et sereinement (il aimait caler son rythme cardiaque sur celui de son cheval car cela avait pour effet de l’apaiser). Il en profita pour vérifier qu’aucune des deux montures ne fut blessée.

            Manifestement, les chevaux se portaient à merveille, et il leur apporta un seau rempli d’eau encore en réserve dans le chargement.

            De ce qu’il savait, ils devaient trouver une auberge afin d’y passer la nuit en toute sécurité. Sa seule hâte était de dormir dans un lit. Les derniers jours avaient été éprouvants pour tout le monde, et tout son corps se trouvait endolori.

            Shenann sur les talons, Dryl entra dans la modeste boutique.

La petite clochette installée au-dessus de la porte en bois qui grinçait sonna.

— Bien le bon… commença une voix.

           Le vieil homme aux cheveux blancs ébouriffés plissa les yeux, termina de nettoyer ses épaisses lunettes rondes, et les remit sur son nez.

— Par ma barbe, Shenann ! Dryl ! Mais quel bon vent vous amène ici.

            Shenann s’approcha, et serra l’homme dans ses bras.

— Bonjour, mon vieil ami, lança-t-il avec joie.

— Comment vas-tu vieux bougre ? demanda Dryl en le serrant à son tour avec un large sourire, je vois que tu ne te laisses pas mourir de faim, cela me rassure, ajouta-t-il en le regardant.

              L’homme se mit à rire.

— Que me vaut cette visite, je ne m’y attendais pas, s’enquit l’homme à la voix usée par les années.

— Ellias, nous avons un service à te demander, annonça Shenann.

          L’homme fronça les sourcils, n’ayant visiblement aucune idée de ce que cela impliquait.

— Nous paierons ! avertit Dryl.

— De quoi s’agit-il ? questionna l’homme, surpris.

— Nous aurions besoin de tes talents de tailleur, sourit Dryl.

            En effet, les services que rendait autrefois Ellias étaient relatifs à la Couronne. Jadis, cet homme servait la Couronne grâce à ses compétences de tailleur. Il était le meilleur du royaume, et comptait à ses ordres plusieurs dizaines de couturières et couturiers des plus doués. Il était un homme bon et gentil, mais il ne plaisantait pas avec le travail. Il aimait la perfection et avait un souci du détail qui faisait de lui de plus prisé des maîtres d’art dans son domaine. Il avait servi de nombreuses années pour la Couronne avant de prendre sa retraite quelques années auparavant, et de rentrer dans sa ville natale ici à Baiery.

Il confectionnait toute sorte de choses, des rideaux aux uniformes en passant par le linge de lit. À sa retraite, il avait cédé sa place à sa seule et unique fille, Hérine, restée au château pour assurer la relève, et d’après les rumeurs, elle était la digne fille de son père.