Lucyana ne sut dire de qui provenait cette réponse mais cela lui suffit. Les filles étaient au centre de ce qui semblait être une ronde dans laquelle chacun tenait un rôle parfaitement défini. Tous s’activaient à rentrer les affaires, ou à remonter la charrette aussi vite que possible, sans quoi, ils devraient la laisser sur place.

     Tout, autour d’elles, tournait. Les ordres fusaient, les chevaux piaffaient et transpiraient d’agitation, les cliquetis du métal tintaient, et l’air était lourd et chargé en tension. Soudain, quelque chose d’indescriptible fusa vers elles à toute vitesse. Lucyana anticipa la chose juste à temps pour s’accroupir et entraîner sa sœur au sol. La chose percuta de plein fouet l’un des arbres voisins qui se fendit lentement en deux et dont la partie supérieure s’écrasa au sol. Elles n’eurent pas le temps de voir de quoi il s’agissait qu’elles durent se protéger des éclats de bois expulsés dans tous les sens. Elles relevèrent la tête mais une seconde explosion les contraignit à se remettre au sol. La terre encore humide se souleva en masse, les faisant toussoter, et irritant leurs yeux.

     L’arbre commença à prendre feu dans un grondement de crépitements. Elles le regardèrent, incrédules.

— C’était quoi ça ? demanda Matheyna qui n’en croyait pas ses yeux !

— Tu veux vraiment une réponse ? répondit sa sœur tout aussi bouche bée.

— Je croyais qu’on était protégés par le sort de Shenann.

     Autour d’elles, les chevaux avaient à présent totalement perdu leur calme, deux de leurs amis s’étaient eux aussi protégés et les autres s’étaient retournés sur le bruit assourdissant de l’incident, interrompant leurs gestes durant une fraction de seconde.

     Caleib se précipita vers elles et s’accroupit.

— C’est le cas, répondit-il, mais le sort ne résistera éternellement, il nous donne suffisamment de temps pour décamper.

     Shenann était resté aux abords du camp, essayant de sonder les alentours pour savoir d’où provenait la menace. Il étendit ses sens au plus loin, puis repéra une trame magique. Une magie malsaine était à l’œuvre. Il était surpris de ne pas avoir repéré cette magie avant qu’elle ne touche l’arbre, un instant plus tôt.

     Caleib agrippa Lucyana par le bras. Le bas de sa robe était plein de terre, et le ruban qui nouait ses cheveux glissait tandis qu’ils se détachaient peu à peu. Puis il la souleva pour la remettre sur ses pieds.

— On doit partir d’ici, les pressa le jeune homme en se redressant.

     Dryl s’était préparé à riposter. Il était concentré, son arc en place, mais les ennemis étaient hors de portée. Il avait beau observer les bois, la menace semblait invisible.

     Quant à Hayden, il pria pour que cette fois-ci, il n’y ait pas de sort de dissimulation

— Nous devons partir, maintenant ! lança Hayden. Les chevaux sont prêts.

     Dryl adressa un regard interrogateur à Shenann qui confirma, l’air sombre.

— Les filles ne pourront pas monter dans la charrette, cela ne ferait que la ralentir, et elle est déjà suffisamment lourde, précisa Hayden.

     Il semblait plus sérieux que jamais, et inquiet.

— Elles monteront sur les chevaux, avec nous, confirma Dryl.

     Personne n’eut le temps de s’opposer à quoi que ce soit, qu’une autre chose s’abattit sur l’arbre qui crépitait encore. Un éclair surgit. Le reste de l’arbre qui se consumait toujours se vit déraciné par la force de ce qui l’avait cogné. Il craqua, puis s’effondra. Matheyna repoussa Caleib qui risquait de finir écrasé par le bois. Elle le poussa si fort qu’il n’eut pas le temps de réagir. Elle lut la surprise sur son visage. Le tronc atterrit entre les sœurs et lui, et s’était écrasé aux pieds de Matheyna qui recula juste à temps pour éviter que son jupon ne prenne feu. Les flammes se répandirent à une allure fulgurante, encerclant les deux jeunes femmes en quelques secondes.

     La magie y était forcément pour quelque chose. De telles flammes ne s’étendaient pas de cette manière par simple hasard.

     Hayden et Shenann étaient déjà montés sur la charrette lorsqu’ils entendirent le vacarme. Les chevaux s’affolèrent. L’un d’eux se cabra, les yeux révulsés d’angoisse. Le mage et son apprenti n’eurent le temps que de voir le résultat de l’incident.